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Un petit combat victorieux et instructif                                         

En Suisse il est tellement rare qu’une lutte pour le maintien d’un office de poste débouchent sur une victoire qu’il vaut la peine d’examiner celle qui vient de s’achever à Lausanne à la fin 2023

par un succès quasi intégral afin d’en tirer quelques enseignements utiles pour des mobilisations futures  comparables. J’ai rédigé cette contribution encore pour deux autres raisons : j’étais presque malgré moi à l’origine de son déclenchement et le Mouvement pour le socialisme dont je suis membre a pu y jouer un certain rôle en dépit de sa faiblesse actuelle en Suisse romande.

Urs Zuppinger, 18.02.2024  

Quand le hasard fait bien les choses

Au printemps 2022 l’office de poste le plus important, le plus central et le plus accessible en transport public de la ville de Lausanne devait disparaître à l’occasion de la rénovation de l’imposant immeuble de l’« Hôtel de la Poste », qui clôt au cœur de la cité depuis 123 ans la place St. François du côté lac et dont le chantier vient de  débuter à la fin 2023.

La disparition insensée et antisociale de cette offre de service urbaine élémentaire aurait pu avoir lieu sans coups fériés comme tant d’autres  mutations urbaines qui appauvrissent notre milieu de vie en continu sous l’impact de la rentabilisation urbaine  et auxquelles nous assistons dans l’indifférence, car nous ne savons pas que faire pour empêcher qu’elles se produisent.

C’est au départ pour une raison parfaitement fortuite que le cours des choses a pris une autre tournure dans le cas de la Poste de St. François à Lausanne. Le jeudi 28 avril 2022 nous nous sommes rendus, ma femme et moi, au guichet de la Direction des travaux de la Ville de Lausanne pour consulter pour des raisons privées le dossier d’une demande de permis de construire sans rapport avec la Poste. Une fois notre problème réglé, nous avons vérifié par acquis de conscience si d’autres projets pouvaient nous intéresser et nous avons découvert que l’enquête  publique de celui de la rénovation de l’Hôtel de la Poste de St.François se terminait le jour même de notre visite.

Piqué au vif nous avons consulté le dossier et nous avons découvert sur le plan du rez-de-chaussée  la mention « food market » en lieu et place de l’office de poste  existant. Notre réaction fut immédiate : nous avons  déposé une opposition sur le champ en sachant qu’elle était irrecevable, car l’enquête publique de ce dossier ne portait pas sur l’affectation des locaux. Mais l’essentiel était d’être partie prenante de la procédure afin être mis au courant des suites du processus administratif.

Bref, il était évident dès le départ que nous disposions d’une seule ressource pour pouvoir espérer avoir un impact sur la suite des évènements :  organiser une mobilisation populaire contre ce projet, couplée à une campagne auprès des média, du monde politique et de l’opinion publique. Et nous savions qu’il fallait s’y mettre sans tarder.

Une campagne active

Le 29 avril j’ai alerté l’association ACIDUS qui se bat depuis des années contre la fermeture d’offices de postes au sein de l’agglomération lausannoise  en refusant de se décourager en dépit des nombreux échecs encaissés. Puis j’ai profité de la manifestation du 1er mai qui avait lieu 2 jours plus tard pour alerter les syndicats et les organisations et partis de gauche en interpellant les militant.e.s qui défilaient dans le cortège. Ma communication a suscité un choc et l’information s’est répandu comme une trainée de poudre au sein de la ville. Un comité unitaire était mis sur pied deux  semaines plus tard réunissant tout l’éventail des organisations politiques et syndicales dites de gauche de la place parmi lesquels les plus actives furent Acidus, le parti socialiste lausannois, le POP section de Lausanne, Syndicom et le MPS-SR par mon intermédiaire.

La campagne a été menée ensuite sans relâche, de  manière unitaire et relativement inventive, notamment au cours de l’hiver 2022-2023, avec 3300 signatures récoltées dans les rues de Lausanne sous une pétition coiffée du slogan « La Poste doit rester à Saint-François », plusieurs manifestations devant l’entrée de l’office de poste en question, le déploiement d’une banderole géante munie du slogan « La poste doit rester à St. François » sous quelques ponts, passerelles et murs lausannois et le vote d’une résolution par le Conseil communal de la ville incitant la Municipalité de tout mettre en œuvre pour sauvegarder cet office de poste.

Bref, le travail accompli a été bien fait pour le dire en d’autres termes. Mais nous n’avons rien fait de particulier en comparaison avec d’autres campagnes du même type qui ont débouché sur des échecs , à part que l’entente était particulièrement bonne entre les membres actifs du comité dans ce cas et que les passants dans la rue et les média nous ont réservé un accueil exceptionnellement positif et continu.

Une réussite qui s’explique, du moins après coup.

Au départ nous étions persuadés que la victoire sera particulièrement difficile dans ce cas parce que la Poste n’est pas propriétaire mais locataire de ses locaux à St. François depuis que le service public des PTT a été privatisé à la fin des années 1990. Nous avons donc essayé de remonter l’histoire et nous avons compris ce qui suit :  

  • L’immeuble de la place St. François sur la façade duquel le mot « Hôtel de Poste » avait été taillé dans la pierre par ses architectes- concepteurs a été attribué à Swisscom dans le cadre de la mise en œuvre de la mutation du statut juridique des PTT. Or, Swisscom n’a pas besoin de bâtiments mais de capitaux pour assurer son avenir sur le marché hyper-agressif de la télécommunication. L’immeuble de St. François a donc été vendu à PSP Real Estate, sise à Zurich, filiale de PSP Swiss Property Group, à qui la Poste SA loue depuis lors  ses locaux à St. François avec un contrat de bail à loyer commercial renouvelable tous les 5 ans. Et ce bail n’a tout simplement pas été renouvelé par PSP à la dernière échéance contractuelle avant le début du chantier de rénovation de l’immeuble de St. François…
  • Le coup fut dur pour la direction de la Poste, car son office de St. François a deux immenses avantages :  sa localisation est optimale du point de vue de son accessibilité pour les usagers de la poste, car l’immeuble se situe au voisinage immédiat de l’arrêt central du réseaux des bus de l’agglomération lausannoise. L’Hôtel de Poste de St. François dispose de plus d’un accès hyperfonctionnel pour les camions qui assurent le transfert des colis en provenance et à destination du centre de tri postal Daillens – Eclépens.

En découvrant ces faits notre action nous les avions interprétés dans un premier temps comme des difficultés pour comprendre ensuite petit à petit qu’ils étaient peut-être à notre avantage. Mais le doute est resté de mise jusqu’à la fin, alors que nous étions interpelées très tôt par d’autres particularités:

  • Dès le début de la campagne de mobilisation nous avons écrit à l’entreprise La Poste SA pour solliciter un entretien avec Mme Grossenbacher, responsable Région Vaud, Valais Fribourg au sein de Poste CH Réseau SA. Et contrairement à ce qui se passe d’habitude en pareille circonstance, celui-ci nous fut accordé par retour de courrier.

Des rencontres avec elle et son staff ont ensuite eu lieu à plusieurs reprises ce qui nous a permis de savoir très tôt de source sûre que des négociations étaient en cours entre la Poste SA et PSP Real Estate[1] en parallèle à des études de faisabilité techniques et financières accomplies de part et d’autre. En dépit du

[1] sans bien sûr que nos interlocuteurs de la Poste ne nous ait divulgué une quelconque information précise sur le contenu concret de ces négociations.

caractère générale des informations qui nous ont été communiqué, nous avons compris en cours de route que la recherche d’un site de remplacement engagée par La Poste SA en parallèle aux négociations avec PSP a révélé qu’il était quasiment impossible d’acquérir dans les délais voulus un site de remplacement aux avantages comparables pour le principal office de poste de la ville, ce qui n’a pas échappé à PSP Real Estate en l’amenant à réajuster ses exigences. Pour finir nous avons été informés en primeur en automne 2023 qu’une issue positive était à bout touchant. De surcroît, des responsables de l’entreprise furent présents à nos côtés  lors de chacune  de nos manifestations devant l’office de Poste de St. François, soi-disant pour éviter des incidents mais avec un grand sourire. PSP Real Estate par contre n’a jamais répondu à nos courriers.

Il  est apparu ainsi petit à petit au cours de l’avancement de notre campagne que nos interlocuteurs de la Poste SA ne devaient pas voir notre mouvement d’un mauvais œil. Le processus d’étude et de négociation en cours entre eux et le propriétaire de l’immeuble avait pour objectif de trouver un accord entre les parties sur la localisation du futur office de poste de St. François au sein de l’Hôtel de Poste rénové et sur sa taille, ainsi que sur le loyer et les condition de location du futur bail à loyer, l’enjeu ayant été la disparition de l’office en cas d’impossibilité de trouver un accord entre les parties sur ces points.  

Pour notre part nous avons ressenti en avançant dans notre campagne de mobilisation que son audience auprès des media et de la population avait un impact sur ce processus et qu’elle jouait peut-être aussi un rôle au sein de l’entreprise la Poste SA en tant que moyen de pression de la direction régionale sur la direction nationale afin d’amener cette dernière à délier la bourse. Mais l’incertitude était de mise pour nous jusqu’à la fin processus en ayant heureusement pour effet de stimuler notre persévérance.

Bref et pour le dire en d’autres termes : si ladite ‘société anonyme de droit public de la Poste suisse’  avait été propriétaire de l’Hôtel de la Poste de St. François et que cette SA avait opté en 2022 pour fermer ou déloger son office de St. François à l’occasion de la rénovation de l’immeuble, notre mobilisation aurait échoué à coup sûr.

Mes conclusions

Peu importe en fin de compte de savoir si notre mobilisation a été déterminante ou non. Il est en revanche indéniable qu’elle a joué un rôle.

La preuve est fournie de manière paradoxale par le fait que son succès n’a pas été intégral. En effet, en engageant notre action nous ignorions que le service des cases postales avait été attribué à une autre entreprise que Swisscom lors du démantèlement des PTT. De ce fait nous avons omis d’interpeler cette autre entreprise. Conséquence : les cases postales de l’office postal de  St.François  ont été  déplacées sans coups fériés avant le début du chantier de rénovation de l’Hôtel de Poste de St. François dans l’office de poste de la Gare de Lausanne et dans celui de la place de la Riponne. Bien évidemment, o n ne saura jamais si une intervention de notre part auprès de la bonne adresse aurait pu l’empêcher, car celle-ci n’a jamais eu lieu.  

A part cela, une foule d’enseignements instructifs être  tirés de cette lutte en dépit du fait qu’elle n’a concerné qu’un simple office de poste.

Son  déroulement fournit ainsi de la matière pour réfléchir à ce qui distingue La POSTE CH SA d’une entreprise privée ordinaire depuis que le statut de service public des PTT a été aboli à la suite d’une votation populaire quelque temps avant la fin du siècle passé, d’une part sur le plan juridique et de la gestion d’entreprise et d’autre part du point de vue du comportement des acteurs en cas de contestation  d’ordre politique.

Autrement dit, le caractère unitaire de l’action engagée n’aurait pas eu le même impact sur le cours des évènements si la POSTE CH SA ne fournissait pas des prestations qui relèvent de l’intérêt public. Pour ne donner que deux exemples :

  • Il aurait été bien plus difficile d’interpeler le syndic socialiste de la Ville de Lausanne, Grégoire Junod, en l’encourageant à prolonger l’examen du dossier par le service communal compétent jusqu’à la limite du délai légal afin de permettre aux négociations entre la Poste SA et PSP Real Estate de se dérouler dans les conditions les plus favorables à l’aboutissement d’un résultat positif.
  • Il aurait été plus difficile d’amener le Conseil communal de Lausanne à adopter une résolution en faveur du maintien de cet office de poste.

 

Cette lutte victorieuse permet pour finir de revenir sur le gâchis invraisemblable qui a résulté du démantèlement des PTT à la fin du siècle passé. Si cette restructuration néolibérale n’avait pas été accomplie, les bouleversements technologiques que son champ d’activité a dû affronter depuis lors, auraient dû être assumés par l’intermédiaire de politiques publiques adéquates. Inutile de s’attarder aujourd’hui sur le contenu de celles-ci, car les conditions ont radicalement changé.

Il ne serait pas inutile, en revanche, ne serait-ce que face au désastre climatiques qui nous attend en l’absence d’une révolution éco-socialiste, de réfléchir  aux conditions à mettre en place pour permettre à ce secteur d’activité de réacquérir un statut d’utilité publique. Pourquoi ne pas consacrer à ce sujet  dans les semaines à venir quelques débats au sein du collectif de celles et de ceux qui se sont intéressés à cette lutte et audelà?