« Israël est contraint de se défendre ». Cet argument a toujours été avancé pour justifier toutes les opérations militaires de Tsahal. L’agression de 1956 est pourtant une opération visant à préparer l’invasion de l’Egypte par deux puissances coloniales.
Abattre le nouveau président égyptien qui a eu l’audace de nationaliser brutalement le canal de Suez. Un accord secret sera signé dans ce but par l’Angleterre, la France et Israël afin déclencher une opération militaire d’envergure en octobre 1956.
Juin 1956, l’Égypte élit un nouveau président, Gamal Abdel Nasser. Issu d’un groupe de jeunes officiers nationalistes, il va annoncer le 26 juillet 1956 la nationalisation immédiate du canal de Suez, ainsi que sa volonté de bâtir un pays indépendant et au service de sa population.
Passage stratégique pour les communications maritimes et militaires, le canal de Suez est la propriété d’une compagnie anglo-française, qui contrôle aussi une zone de chaque côté du canal. Après 1945, tous les empires coloniaux sont soumis à de fortes contestations internes. L’Angleterre met en place en Égypte un nouveau royaume (!) formellement indépendant. Un coup d’état militaire verra l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de nationalistes. Nasser va ainsi devenir le leader qui désire unifier les différents États arabes crées par les puissances coloniales, et se détacher de leur tutelle économique.
Un nouveau contexte mondial.
Nasser a compris que les luttes de libération nationale qui éclatent un peu partout dans le monde ont créé un espace politique, à l’avantage de nouvelles forces. Le monde arabe peut utiliser cette situation.
Nasser veut garder les immenses bénéfices issus de l’exploitation du canal de Suez afin de moderniser le pays et répondre aux besoins de base d’une population très pauvre. Le projet de barrage à Assouan, pour réguler les crues du Nil et produire de l’électricité, nécessite un financement colossal. Devant les conditions inacceptables posées par les banques étrangères, puis le refus de financement des USA, Nasser va exiger le départ des troupes britanniques qui occupent la zone du canal, puis annoncer sa nationalisation. En Égypte et dans le monde arabe, c’est la liesse. Enfin un chef d’État qui tient tête aux Occidentaux, et qui prend des mesures concrètes. A Londres et Paris, c’est la consternation. La peur d’une extension du nationalisme arabe, avec la menace d’une nationalisation des ressources pétrolières et la perte du contrôle militaire du Moyen-Orient, justifient une réaction immédiate. Le principe d’une action militaire est rapidement acquis.
La France veut aussi supprimer le soutien matériel apporté par l’Égypte au FLN, l’organisation qui mène la guerre d’indépendance en Algérie. Cette alliance reflète bien l’importance des intérêts en jeu. L’Angleterre est dirigée par un gouvernement conservateur, la France par un gouvernement socialiste, avec à sa tête Guy Mollet. Peu importe, l’essentiel est de maintenir les restes des l’empire colonial et de faire une démonstration de force.
Défaite militaire, triomphe politique pour Nasser.
Guy Mollet va impliquer rapidement Israël dans cette alliance contre l’Égypte. L’attaque et l’occupation du Sinaï par Israël précédera le débarquement et le parachutage anglo-français. La France ira très loin, puisqu’elle fournira des armes modernes (tanks et avions) à l’État hébreux, y compris les premiers éléments servant à fabriquer des armes atomiques.
Les attaques surprises israéliennes permettent d’occuper le Sinaï, avec la couverture aérienne de l’armada franco-britannique, qui débarque à Port-Saïd début novembre. Les forces armées sont totalement disproportionnées, la surprise a avantagé les assaillants. Mais politiquement, l’opération va tourner au désastre. La France et l’Angleterre devront retirer leurs troupes, et admettre la perte définitive du contrôle du canal. L’agression va donner un élan politique aux idées nationalistes et progressistes dans le monde arabe. L’indépendance est légitime et doit aussi être économique. Les richesses des pays doivent servir à lutter contre la pauvreté, les nouveaux régimes parlent de transition vers le socialisme.
La participation d’Israël dans cette alliance impérialiste illustre bien son rôle de poste avancé dans la défense des intérêts économiques et militaires occidentaux. Bien entendu, la chute de Nasser aurait encore renforcé les forces conservatrices des monarchies du Moyen-Orient. Ainsi Israël veillait aussi bien à maintenir la stabilité de la région qu’à écraser toute velléité d’indépendance nationale.
José Sanchez
Pour en savoir plus « Les secrets de l’expédition de Suez. 1956 », Denis Lefebvre, Ed Perrin 2010.
Le début de l’attaque contre l’Égypte passe forcément par la zone de Gaza. Le 13 octobre, la marine française pilonne Rafah, les britanniques les aérodromes égyptiens, préparant l’offensive terrestre d’Israël.
Une rude bataille va se dérouler à Khan Younes, où les troupes égyptiennes résistent. L’aviation et l’artillerie israéliennes ne font pas dans le détail, les pertes civiles sont importantes, et les exécutions sommaires courantes.
Après l’arrêt des combats, des rafles massives sont menées par l’occupant, justifiées par la recherche des quelques centaines de fedayines supposés être une menace. Ces arrestations sont menées avec une extrême brutalité, alors qu’un cessez-le-feu a été imposé par l’ONU.
L’occupant impose comme monnaie la livre israélienne le 3 décembre. La répression vise désormais les actes de résistance civile de la population (grèves, manifestations).
Alors que l’ONU vote le 22 décembre le départ des forces anglo-françaises du territoire égyptien, il reste encore à régler le sort de Gaza. Ben Gourion refuse catégoriquement de se retirer, ou même d’y accepter une force de l’ONU, lors de son assemble générale en janvier 1957. Sous la pression des États-Unis, qui veulent maintenir leur influence dans les grands pays arabes, Israël est contraint de quitter Gaza le 7 mars, laissant la place aux « Casque-Bleus ».
Le bilan humain de la guerre et de l’occupation est lourd, une bonne partie de la population a vécu la réalité d’une occupation très hostile.
Le prestige retiré durant ce conflit aura surtout bénéficié à Nasser, qui empêchera d’établir à Gaza une structure de pouvoir uniquement palestinienne. Une occasion perdue, qui repousse l’affirmation d’une identité palestinienne indépendante.
José Sanchez